Geneviève Letarte
Autour de « Mes ailleurs »
Comme son titre l’indique, ce recueil est habité par le thème de l’ailleurs. Mais on retrouve dans chaque poème une collection d’images, de souvenirs et d’impressions touchant à différents sujets : le passage du temps, les apprentissages de la jeunesse, le pays inachevé, les amitiés nécessaires, la poésie comme source d’éveil, les écueils du monde contemporain.
Mon recueil est composé de huit poèmes de forme longue, et chacun constitue une sorte de traversée dans le temps, l’espace ou la psyché humaine. Entre prosaïsme et lyrisme, humour et gravité, j’explore différentes facettes de l’ailleurs, ce qui crée un ensemble à la fois cohérent et hétéroclite. C’est un livre structuré par une contrainte formelle (longueur des poèmes, thématique préalable), mais où règne aussi une grande liberté puisque chaque poème est le véhicule d’une exploration. Le tout peut se lire comme une sorte d’autobiographie poétique où s’entremêlent des événements de la vie personnelle et collective.
J’ai eu un vif plaisir à écrire ce livre car il m’a permis de revisiter des lieux, des moments et des liens qui m’ont nourrie, transformée. J’ose espérer que ces expériences et déambulations, transmises sous le signe du ludisme, rejoindront les lecteurs et les lectrices dans leur propre humanité cheminante.
Au départ, je voulais écrire des poèmes de voyage, revenir sur des lieux qui m’avaient inspirée ou marquée. Puis le projet s’est élargi à la notion plus vaste de voyage, qu’il s’agisse d’une expérience concrète ou métaphorique, d’une mouvance existentielle ou géographique. Dans tous les cas, ce qui m’intéresse, c’est l’idée du mouvement nécessaire pour l’exploration de soi et du monde, les possibilités transformatrices de l’ailleurs, qu’il se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de soi.
Dans le confort doré
d’un hall d’hôtel
une femme aux jambes nues
écrit
luminaires Art déco
musique d’ascenseur
elle a trouvé la distance utile
pour se raconter
seule comme dans un roman
de Joan Didion
elle racle le fond des choses
dans son Moleskine
les souvenirs remontent
les odeurs s’entrechoquent
quelle sera la suite de l’histoire
si personne ne l’écrit
songe-t-elle
en regrettant ses cigarettes
à deux heures de l’après-midi
le hall d’hôtel est une oasis
pour femme en cavale
*
L’autocar sillonne les montagnes
aux flancs roussâtres au dos pelé
et soudain l’Ararat apparaît
silencieux dans sa mousse blanche
les yeux écarquillés
j’absorbe le choc de l’ailleurs
qui suis-je ici
moi écrivaine québécoise
plus ou moins anonyme
une femme perdue dans l’imbroglio
de sa propre histoire
c’est à cela que servent les voyages
à s’égarer pour mieux se retrouver
entre les lignes d’un texte malhabile
aux confins de l’Europe et de l’Asie
qui suis-je ici moi la quasi-muette
la regardeuse de paysages
collectionneuse de détails oubliés
un jour je repenserai à cet état
de fatigue extrême qu’est celui du voyage
un état d’exaltation si puissant
qu’il vous cloue le bec
et vous jette dans le feu
Mon projet était en cours depuis un bon moment, mais je ne me décidais pas à le terminer. Puis je me suis retrouvée en confinement à la campagne, chez mes parents âgés à qui j’apportais mon soutien. C’est dans ce contexte de première vague de pandémie que je me suis attelée à la tâche de mener à terme mon recueil. Je m’étais fixé une date limite, celle du déconfinement, et cela m’a donné un élan, une structure. Le livre m’a aidée à traverser cette période de confinement, et le confinement m’a aidée à terminer le livre.